tombe dans le temps

Dans l’élaboration du concept vulgaire de temps se manifeste une hésitation remarquable sur la question de savoir s’il convient d’attribuer au temps un caractère « subjectif » ou « objectif ». Même lorsqu’on le conçoit comme étant en soi, on ne laisse pas de l’assigner de manière privilégiée à l’« âme », et, au contraire, lorsqu’il est doué d’un caractère « conscient », il fonctionne pourtant « objectivement ». Dans l’interprétation du temps par Hegel, l’une et l’autre possibilités sont portées à une certaine assomption. Hegel s’efforce de déterminer la connexion entre « temps » et « esprit » afin de faire comprendre par là pourquoi l’esprit comme histoire « tombe dans le temps ». Dans son résultat, l’interprétation précédente de la temporalité du Dasein et de l’appartenance à elle du temps-du-monde parait converger avec celle de Hegel. Cependant, comme la présente analyse du temps se distingue fondamentalement de Hegel dès le point de départ, et comme elle est orientée par son but propre – à savoir son intention fondamental-ontologique – en sens contraire de la sienne, une brève exposition de la conception hegélienne de la relation entre temps et esprit pourra n’être pas inutile pour clarifier – et conclure provisoirement – l’interprétation ontologico-existentiale de la temporalité du Dasein, du temps-du-monde et de l’origine du concept vulgaire de temps. (406) La question de savoir si et comment un « être » échoit au temps, pourquoi et en quel sens nous l’appelons « étant », ne peut recevoir réponse que s’il est montré en quelle mesure la temporalité elle-même, dans le tout de sa temporalisation, rend possible quelque chose comme une compréhension de l’être et une advocation de l’étant. Par suite, le plan de ce chapitre sera celui-ci : la temporalité du Dasein et la préoccupation (Besorgen) du temps (§79 (EtreTemps79)) ; le temps de la préoccupation (Besorgen) et l’intratemporalité (§80 (EtreTemps80)) ; l’intratemporalité et la genèse du concept vulgaire de temps (§81 (EtreTemps81)) ; dissociation de la connexion ontologico-existentiale de la temporalité, du Dasein et du temps-du-monde par rapport à la conception hegélienne de la relation entre temps et esprit (§82 (EtreTemps82)) ; l’analytique temporalo-existentiale du Dasein et la question fondamental-ontologique du sens de l’êtrêtre en général (§83 (EtreTemps83)). EtreTemps78

L’histoire, qui est essentiellement histoire de l’esprit, se déroule « dans le temps ». Donc, « le développement de l’histoire tombe dans le temps » (NA: HEGEL, Die Vernunft in der Geschichte. Einleitung in die Philosophie der Weltgeschichte (NT: La raison dans l’histoire, Introduction à la philosophie de l’histoire universelle), éd. G. Lasson, 1917, p. 133.). Hegel, cependant, ne se contente point de poser l’intratemporalité de l’esprit comme un fait, mais il cherche à comprendre la possibilité que l’esprit tombe dans le temps, lequel est « le sensible non-sensible » (NA: Ibid.). Le temps doit pour ainsi dire pouvoir accueillir l’esprit qui, à son tour, doit être apparenté au temps et à son essence. Par suite, il convient ici d’élucider les deux points suivants : 1. Comment Hegel délimite-t-il l’essence du temps ? 2. Qu’est-ce qui, dans l’essence de l’esprit, lui donne la possibilité « de tomber dans le temps » ? La réponse à ces deux questions servira simplement à préciser, par contraste avec celle de Hegel, l’interprétation précédente du Dasein comme temporalité. Elle n’élève aucune prétention à traiter, ne serait-ce qu’avec une complétude seulement relative, la multiplicité de problèmes qui, chez Hegel justement, leur sont liés, et cela d’autant moins que son intention n’est nullement de « critiquer » Hegel. Si une dissociation de l’idée de la temporalité qui a été exposée par rapport au concept hegélien du temps s’impose, c’est parce que ce concept représente l’élaboration conceptuelle la plus radicale – et qui plus est trop peu remarquée – de la compréhension vulgaire du temps. EtreTemps82

L’analytique existentiale qui précède s’installe au contraire d’emblée dans la « concrétion » de l’existence facticement jetée, afin de dévoiler la temporalité comme sa (436) possibilisation originaire. L’« esprit » ne tombe pas tout d’abord dans le temps, mais il existe comme temporalisation originaire de la temporalité. Celle-ci temporalise le temps du monde, dans l’horizon duquel l’« histoire » peut « apparaître » comme provenir intratemporel. Loin que l’« esprit » tombe dans le temps, c’est l’existence factice qui, en temps qu’échéance, « choit » de la temporalité originaire, authentique. Mais ce « choir » a lui-même sa possibilité existentiale dans un mode de temporalisation de la temporalité inhérent à celle-ci. EtreTemps82