La recherche ontologique bien comprise donne elle-même à la question de l’être sa primauté ontologique sur la simple reprise d’une tradition vénérable et la poursuite d’un problème demeuré jusque-là obscur. Seulement, cette primauté réelle et scientifique n’est pas la seule. EtreTemps3
L’être n’étant jamais saisissable que du point de vue du temps, la réponse à la question de l’être ne peut se résumer à une proposition isolée et aveugle. La réponse ne saurait être comprise si l’on se borne à répéter ce qu’elle énonce propositionnellement, et surtout pas si cet énoncé est traité en simple résultat et transmis pour information comme témoignage d’un « point de vue » peut-être aberrant par rapport à la manière traditionnelle de s’y prendre. Que la réponse soit « nouvelle », cela n’a aucune importance et demeure extérieur. Si elle doit contenir quelque chose de positif, ce ne peut être qu’en étant au contraire assez ancienne pour nous apprendre à concevoir les possibilités ouvertes par les « Anciens ». La réponse, selon sa signification la plus propre, donne une consigne à la recherche ontologique concrète, celle de redonner son élan au questionnement philosophique au sein de l’horizon par elle libéré – et elle donne seulement cela. EtreTemps5
Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant – l’ontologie. Lors de notre éclaircissement des tâches de l’ontologie, nous est apparue la nécessité d’une ontologie-fondamentale ayant pour thème l’étant ontologico-ontiquement privilégié, le Dasein, mais aussi pour intention de se convoquer devant le problème cardinal, à savoir la question du sens de l’êtrêtre en général. Or la recherche même nous montrera que le sens méthodique de la description phénoménologique est l’explicitation. Le logos de la phénoménologie du Dasein a le caractère de l’hermeneuein par lequel sont annoncés à la compréhension d’être qui appartient au Dasein lui-même le sens authentique de l’être et les structures fondamentales de son propre être. La phénoménologie du Dasein est herméneutique au sens originel du mot, d’après lequel il désigne le travail de l’explicitation. Cependant, dans la mesure où par la mise à découvert du sens de l’être et des structures fondamentales du Dasein en général est ouvert l’horizon de toute recherche ontologique ultérieure sur l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), cette herméneutique devient en même temps « herméneutique » au sens de l’élaboration des conditions de possibilité de toute recherche ontologique. Et pour autant, enfin, que le Dasein a la primauté ontologique sur tout étant – en tant qu’il est dans la possibilité de l’existence -, l’herméneutique en tant qu’explicitation (38) de l’être du Dasein reçoit un troisième sens spécifique, à savoir le sens, philosophiquement premier, d’une analytique de l’existentialité, de l’existence. Dans cette herméneutique, en tant qu’elle élabore ontologiquement l’historialité du Dasein comme la condition ontique de possibilité de la recherche historique, s’enracine par conséquent ce qui n’est nommé que dérivativement « herméneutique » : la méthodologie des sciences historiques de l’esprit. EtreTemps7
Une recherche ontologique est un mode possible d’explicitation, laquelle a été (232) caractérisée comme élaboration et appropriation d’une compréhension (NA: Cf. supra, §32 (EtreTemps32), p. (148) sq.). Toute explicitation a sa pré-acquisition, sa pré-vision (Vor-sicht) et son anti-cipation. Qu’elle devienne, en tant qu’interprétation, la tâche expresse d’une recherche, et alors le tout de ces « présuppositions », que nous appelons la situation herméneutique, exige d’être préalablement clarifié et assuré à partir de et dans une expérience fondamentale de l’« objet » à ouvrir. L’interprétation ontologique, qui doit libérer l’étant du point de vue de sa constitution propre d’être, est tenue de porter l’étant thématique, à l’aide d’une première caractérisation phénoménale, à la pré-acquisition à laquelle toutes les démarches ultérieures de l’analyse devront rester adéquates. Mais celles-ci ont en même temps besoin d’être guidées pas la pré-vision (Vor-sicht) possible du mode d’êtrêtre de l’étant concerné. Pré-acquisition et pré-vision (Vor-sicht) pré-dessinent ensuite en même temps la conceptualité (anticipation) où toutes les structures d’être doivent être dégagées. EtreTemps45
D’un autre côté, l’analyse ne peut s’en tenir à une idée de la mort fortuitement et arbitrairement forgée. Un tel arbitraire, du reste, ne peut être réfréné que par la caractérisation ontologique préalable du mode d’être où la « fin » s’engage dans la quotidienneté (Alltäglichkeit) médiocre du Dasein. Pour cela, il est besoin d’une évocation complète des structures, plus haut dégagées, de la quotidienneté (Alltäglichkeit). Que dans une analyse existentiale de la mort des possibilités existentielles de l’être pour la mort soient du même coup suggérées, cela est inhérent à l’essence de toute recherche ontologique. La nécessité n’en devient que plus forte que la détermination conceptuelle existentiale s’accompagne d’une absence d’obligation existentielle, et cela est spécialement vrai dans le cas de la mort, où le caractère de possibilité (249) du Dasein se laisse dévoiler avec la plus grande acuité. Tout ce à quoi vise la problématique existentiale, c’est à dégager la structure ontologique de l’être pour la fin du Dasein (NA: L’anthropologie élaborée dans la théologie chrétienne a toujours déjà – depuis PAUL jusqu’à la meditatio futurae vitae de CALVIN – coaperçu la mort dans l’interprétation de la « vie ». – W. DILTHEY, dont les tendances philosophiques propres étaient dirigées vers une ontologie de la « vie », ne pouvait manquer de discerner sa liaison avec la mort. « Le rapport qui détermine le plus profondément et universellement le sentiment de notre Dasein est celui de la vie à la mort ; car la limitation de notre existence par la mort est toujours décisive pour notre compréhension et notre appréciation de la vie. » Das Erlebnis und die Dichtung (Vécu et poésie), 5ème éd., p. 230. Récemment, G. SIMMEL, a lui aussi fait expressément entrer le phénomène de la mort dans la détermination de la « vie », mais bien entendu sans clairement dissocier problématique biologico-ontique et problématique ontologico-existentiale. Cf. Lebensanschauung, Vier metaphysische Kapitel (L’intuition de la vie, Quatre chapitres métaphysiques), 1918, p. 99-153. – Pour la présente enquête, il convient avant tout de comparer K. Jaspers, Psychologie der Weltanschauungen (Psychologie des conceptions du monde), 3ème éd., 1925, p. 229 sq., notamment p. 259-270. Jaspers saisit la mort au fil conducteur du phénomène – par lui dégagé – de la « situation-limite », dont la signification fondamentale dépasse toute typologie des « dispositions » et des « conceptions du monde ». EtreTemps49