Si donc le Dasein préoccupé amène quelque chose à sa proximité, cela ne signifie point qu’il le fixe à un emplacement spatial qui serait séparé par la distance minimum d’un point quelconque de son corps. Dans la proximité, cela veut dire : dans l’orbe de ce qui est de prime abord à-portée-de-la-main pour la circon-spection. L’approchement n’est pas orienté vers la chose-Moi munie d’un corps, mais vers l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) préoccupé, autrement dit vers ce qui y fait à chaque fois et de prime abord encontre. La spatialité du Dasein ne saurait donc pas non plus être déterminée par l’indication d’un emplacement où une chose corporelle est sous-la-main. Sans doute, nous disons également du Dasein qu’il occupe une place. Mais cette « occupation » doit être absolument dissociée de l’être-sous-la-main à une place issue d’une contrée. Cette occupation de place doit nécessairement être conçue comme l’é-loignement (Entfernung) de l’à-portée-de-la-main du monde ambiant vers une contrée circon-spectivement prédécouverte. Son ici, le Dasein le comprend à partir du là-bas du monde ambiant. L’ici ne désigne pas le « où » d’un sous-la-main, mais le auprès-de-quoi d’un être-auprès… é-loignant, inséparable de cet é-loignement (Entfernung) même. Conformément à sa spatialité propre, le Dasein n’est de prime abord jamais ici, mais là-bas, et c’est depuis ce là-bas qu’il revient vers son ici, et cela derechef seulement dans la mesure où il explicite son être-pour… préoccupé à partir de ce qui est (108) là-bas-à-portée de la main. C’est ce qui achèvera de nous apparaître en considérant une spécificité phénoménale de la structure d’é-loignement (Entfernung) de l’être-à. EtreTemps23
Si nous rassemblons, dans un regard unitaire sur la plénitude du phénomène, les trois sens analysés de l’« énoncé », sa définition sera donc celle-ci : une mise en évidence communicativement déterminante. La question reste seulement de savoir de quel droit nous prenons en général l’énoncé pour un mode de l’explicitation. S’il est quelque chose de tel, il faut que les structures essentielles de l’explicitation réapparaissent en lui. La mise en évidence de l’énoncé s’accomplit sur la base de l’étant déjà ouvert – ou circon-spectivement découvert – dans le comprendre. L’énoncé n’est pas un comportement flottant en l’air qui pourrait de lui-même et primairement ouvrir de l’étant en général, mais il se tient toujours déjà sur la base de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). Ce qui a été montré antérieurement (NA: Cf. supra, §13 (EtreTemps13), p. (59) sq.) au sujet de la connaissance du monde (157) ne vaut pas moins de l’énoncé. Il a besoin d’une pré-acquisition d’un étant en général ouvert, qu’il met en évidence selon la guise du déterminer. En outre, l’attitude déterminatrice implique déjà une prise de perspective orientée sur l’étant à énoncer. Ce vers quoi l’étant prédonné est avisé reçoit dans l’accomplissement de la détermination la fonction de déterminant. L’énoncé a besoin d’une pré-vision (Vor-sicht), où le prédicat à dégager et à assigner est lui-même pour ainsi dire réveillé de son inclusion tacite dans l’étant lui-même. Enfin, à l’énoncé comme communication déterminante appartient à chaque fois une articulation significative de l’étant mis en évidence, l’énoncé se meut dans une conceptualité déterminée ; le marteau est lourd, la gravité advient au marteau, le marteau a la propriété de la gravité. Le plus souvent, l’anti-cipation toujours déjà impliquée elle aussi dans l’énoncer ne s’impose pas, parce que la langue abrite à chaque fois déjà en soi une conceptualité élaborée. L’énoncé, comme l’explicitation en général, a nécessairement ses fondements existentiaux dans la pré-acquisition, la pré-vision (Vor-sicht) et l’anti-cipation. EtreTemps33
Mais en quel sens est-il un mode second de l’explicitation ? Qu’est-ce qui s’est modifié en celle-ci ? Il nous est possible de mettre en évidence cette modification si nous nous en tenons à ces cas limite d’énoncés qui fonctionnent en logique comme cas normaux et comme exemples des phénomènes les « plus simples » d’énonciation. Ce que la logique prend pour son thème avec la proposition énonciative catégorique, par exemple : « le marteau est lourd », elle l’a toujours déjà compris, avant tout analyse, dans un sens logique. Inconsidérément, ceci : la chose-marteau a la propriété de la gravité, est présupposé à titre de « sens » de la proposition. Mais dans la circon-spection préoccupée, il n’y a jamais « de prime abord » de tels énoncés, ce qui n’empêche cependant qu’elle a ses guises spécifiques d’explicitation, qui, par rapport au « jugement théorique » cité, peuvent être ainsi exprimées : « le marteau est trop lourd ! », ou mieux encore : « trop lourd ! », « l’autre marteau ! ». L’accomplissement originaire de l’explicitation ne réside pas dans une proposition énonciative théorique, mais dans la mise à l’écart ou le remplacement circon-spect et préoccupé de l’outil (Zeug) de travail inapproprié, sans qu’il y ait pour cela à « perdre un mot ». Du défaut de mots, il ne faut pas conclure au défaut de l’explicitation. Par ailleurs, l’explicitation circon-spectivement ex-primée n’est pas nécessairement déjà un énoncé au sens qu’on a indiqué. Par quelles modifications ontologico-existentiales l’énoncé jaillit-il donc de l’explicitation circon-specte ? EtreTemps33
Il convient tout d’abord de caractériser l’être pour la mort comme un être pour une (261) possibilité, à savoir pour une possibilité insigne du Dasein lui-même. Être pour une possibilité, c’est-à-dire pour un possible, peut signifier : être ouvert à (NT: Aussein, mot auparavant traduit (p. (195) et (210)) par « exposition » ; ici, c’est l’être-ouvert, au sens d’intérêt pour…) un possible sous la forme d’une préoccupation (Besorgen) pour sa réalisation. Dans le champ de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main, de telles possibilités font constamment encontre : l’accessible, le maîtrisable, le viable, etc. L’être-ouvert préoccupé à un possible a la tendance à anéantir la possibilité du possible en le rendant disponible. Cependant, la réalisation préoccupée d’un outil (Zeug) sous-la-main (en tant que produire, apprêter, remplacer, etc.) n’est jamais que relative, dans la mesure où même le réalisé, ou justement lui, a encore le caractère d’être de la tournure (Bewandtnis). Bien que réalisé, il reste en tant qu’effectif un possible pour…, caractérisé par un pour… La présente analyse doit simplement montrer comment l’être-ouvert préoccupé se rapporte au possible : non pas dans une considération thématico-théorique du possible comme possible, selon sa possibilité envisagée comme telle, mais de manière telle qu’elle s’écarte circon-spectivement du possible pour se tourner vers le possible-pour-quoi. EtreTemps53
Désormais, ce qui est conquis avec la résolution, c’est la vérité la plus originaire, parce qu’authentique du Dasein. L’ouverture du Là ouvre cooriginairement l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) à chaque fois total, c’est-à-dire le monde, l’être-à et le Soi-même que cet étant est en tant que « Je suis ». Avec l’ouverture du monde, de l’étant intramondain est à chaque fois déjà découvert. L’être-découvert de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main se fonde dans l’ouverture du monde (NA: Cf. supra, §18 (EtreTemps18), p. (83) sq.) ; car la libération de toute totalité de tournure (Bewandtnis) de l’à-portée-de-la-main requiert une pré-compréhension de la significativité (Bedeutsamkeit). Comprenant celle-ci, le Dasein préoccupé s’assigne circon-spectivement à l’à-portée-de-la-main qui lui fait encontre. Le comprendre de la significativité (Bedeutsamkeit) comme ouverture de tout monde se fonde derechef dans le comprendre du en-vue-de-quoi auquel se rapporte toute découverte de la totalité de tournure (Bewandtnis). EtreTemps60
La résolution devançante ouvre toute situation du Là de telle manière que l’existence, en agissant, se préoccupe circon-spectivement de l’à-portée-de-la-main facticement rencontré dans le monde ambiant. L’être résolu auprès de l’à-portée-de-la-main de la situation, c’est-à-dire le laisser-faire-encontre agissant de ce qui est présent dans le monde ambiant n’est possible que dans un présentifier de cet étant. C’est seulement en tant que présent au sens du présentifier que la résolution peut être ce qu’elle est : le laisser-faire-encontre non-dissimulé de ce dont elle s’empare en agissant. EtreTemps65
L’interprétation temporelle de la quotidienneté (Alltäglichkeit) et de l’historialité fixe suffisamment le (333) regard sur le temps originaire pour mettre celui-ci même à découvert comme la condition de possibilité et de nécessité de l’expérience quotidienne (alltäglich) du temps. Le Dasein, en tant qu’étant pour lequel il y va de son être, s’emploie, expressément ou non, primairement pour lui-même. De prime abord et le plus souvent, le souci est préoccupation (Besorgen) circon-specte. S’employant en-vue-de lui-même, le Dasein se « consomme ». Se consommant, le Dasein use de lui-même, c’est-à-dire de son temps. Usant du temps, il compte avec lui. La préoccupation (Besorgen) circon-spectivement calculante découvre de prime abord le temps et conduit à la formation d’un comput du temps. Le compte avec le temps est constitutif de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). La découverte préoccupée de la circon-spection laisse, en comptant avec son temps, l’à-portée-de-la-main et le sous-la-main découvert faire encontre (begegnen) dans le temps. L’étant intramondain devient ainsi accessible comme « étant dans le temps ». La déterminité (Bestimmtheit) temporelle de l’étant intramondain, nous l’appelons l’intratemporalité. Le « temps » d’abord trouvé ontiquement en elle devient la base de la formation du concept vulgaire et traditionnel du temps. Cependant, le temps comme intratemporalité provient d’un mode essentiel de temporalisation de la temporalité originaire. Cette origine indique que le temps « où » le sous-la-main naît et passe est un phénomène temporel véritable et non pas l’extériorisation d’un « temps qualitatif » en espace, ainsi que veut nous le faire croire l’interprétation totalement indéterminée et insuffisante ontologiquement du temps par Bergson. EtreTemps66
Or il résulte de là, pour l’analyse de l’usage, et plus précisément de son avec-quoi, une (353) consigne : celle d’orienter l’être existant auprès de l’étant dont il se préoccupe non pas justement sur un outil (Zeug) isolément à-portée-de-la-main, mais bien sur la totalité d’outils. Du reste, la méditation du caractère d’être privilégié de l’outil (Zeug) à-portée-de-la-main, la tournure (Bewandtnis) (NA: Cf. supra, §18 (EtreTemps18), p. (83) sq.), ne contraint pas moins à une telle appréhension de l’avec-quoi de l’usage. Ce terme de tournure (Bewandtnis) est ici compris ontologiquement. L’expression : avec quelque chose, il retourne de quelque chose, ne veut pas constater ontiquement un fait, mais indiquer le mode d’être de l’à-portée-de-la-main. Le caractère de rapport de la tournure (Bewandtnis), du « avec…, de… » indique qu’un outil (Zeug) est ontologiquement impossible. Certes, il se peut qu’un unique outil (Zeug) soit à-portée-de-la-main et que les autres « fassent défaut ». Mais en cela justement s’annonce l’appartenance de cet étant à-portée-de-la-main à un autre. L’usage préoccupé ne peut en général laisser circon-spectivement de l’à-portée-de-la-main faire encontre (begegnen) que s’il comprend déjà quelque chose comme de la tournure (Bewandtnis), c’est-à-dire le retourner de quelque chose qu’il y a à chaque fois avec quelque chose. L’être circon-spect-découvrant-auprès-de… de la préoccupation (Besorgen) est un laisser-retourner, autrement dit un projeter compréhensif de tournure (Bewandtnis). Si le laisser-retourner constitue la structure existentiale de la préoccupation (Besorgen), si cependant celle-ci, en tant qu’être-auprès… appartient à la constitution essentielle du souci, et si enfin celui-ci se fonde de son côté dans la temporalité, alors il faut que la condition existentiale de possibilité du laisser-retourner soit cherchée dans un mode de temporalisation de la temporalité. EtreTemps69
Le s’attendre au pour… n’est ni la considération d’une « finalité », ni l’attente de l’achèvement imminent de l’ouvrage à produire. Il n’a absolument pas le caractère d’un saisir thématique, pas plus d’ailleurs que le conserver de ce avec quoi il retourne ne signifie un constater thématique. L’usage qui manie se rapporte tout aussi peu seulement au « de » qu’à (354) l’avec-quoi du laisser-retourner. Celui-ci se constitue bien plutôt dans l’unité du conserver qui s’attend, de telle sorte que le présentifier qui en résulte rend possible l’identification caractéristique de la préoccupation (Besorgen) à son monde d’outils. Le s’occuper de… « authentique », totalement adonné à…, n’est ni seulement auprès de l’ouvrage, ni seulement auprès de l’outil (Zeug) de travail, ni auprès des deux « ensemble ». Le laisser-retourner fondé dans la temporalité a déjà fondé l’unité des rapports où la préoccupation (Besorgen) se « meut » circon-spectivement. EtreTemps69
Comment, maintenant, la « constatation » de ce qui manque, c’est-à-dire n’est pas à-portée-de-la-main (et non pas simplement à-portée-de-la-main comme non-maniable), est-elle possible ? Du non-à-portée-de-la-main est découvert circon-spectivement dans le regret. Celui-ci, ainsi que le « constat » fondé en lui du non-être-à-portée-de-la-main de quelque chose, a ses présuppositions existentiales propres. Le regretter n’est nullement un non-présentifier, mais un mode déficient du présent, au sens d’un non-présentifier d’un étant attendu ou toujours déjà disponible. Si le laisser-retourner circon-spect n’était pas « nativement » attentif à ce dont il se préoccupe et si le s’attendre ne se temporalisait pas en unité avec un présentifier, alors le Dasein ne pourrait jamais « trouver » que quelque chose fait défaut. EtreTemps69
La circon-spection se meut dans les rapports de tournure (Bewandtnis) du complexe à-portée-de-la-main (359) d’outils. Elle est elle-même à son tour soumise à la direction d’une vue-d’ensemble plus ou moins expresse sur la totalité d’outils de ce qui est à chaque fois monde d’outils, ainsi que du monde ambiant public qui appartient à celui-ci. La vue-d’ensemble n’est pas simplement un ramassage après coup de sous-la-main. L’essentiel de la vue-d’ensemble est le comprendre primaire de la totalité de tournure (Bewandtnis) à l’intérieur de laquelle s’engage à chaque fois la préoccupation (Besorgen) factice. La vue-d’ensemble qui éclaire la préoccupation (Besorgen) reçoit sa « lumière » du pouvoir-être du Dasein, en-vue-de quoi la préoccupation (Besorgen) existe comme souci. La circon-spection « d’ensemble » de la préoccupation (Besorgen) rapproche, en toute utilisation et maniement, l’à-portée-de-la-main du Dasein, selon la guise d’une explicitation de ce qui est pris en vue. L’approchement spécifique, circon-spectivement explicitant de l’étant dont on se préoccupe, nous l’appelons la réflexion. Son schème spécifique est le « si…, alors… » : si ceci ou cela doit être – par exemple – produit, mis en usage, empêché, alors il est besoin de tels ou tels moyens, voies, circonstances, occasions. La réflexion circon-specte éclaire toute situation factice du Dasein dans le monde ambiant de sa préoccupation (Besorgen). Par suite, elle ne « constate » jamais simplement l’être-sous-la-main d’un étant, ou ses propriétés. La réflexion peut s’accomplir même sans que l’étant approché circon-spectivement en elle soit lui-même à-portée-de-la-main de manière saisissable et présent dans le champ de vue le plus proche. Le rapprochement du monde ambiant dans la réflexion circon-specte a le sens existential d’une présentification. Car la re-présentation n’est qu’un mode de celle-ci. En elle, la réflexion s’avise directement de l’étant nécessaire, mais non à-portée-de-la-main. La circon-spection re-présentante ne se rapporte pas à quelque chose comme des « simples représentations ». EtreTemps69
Cependant, la présentification circon-specte est un phénomène diversement fondé. D’abord, elle appartient à chaque fois à une unité ekstatique pleine de la temporalité. Elle se fonde dans un conserver du complexe d’outils en se préoccupant duquel le Dasein est attentif à une possibilité. Ce qui est déjà révélé dans le conserver attentif rapproche la présentification – ou la re-présentation – réfléchissante. Mais pour que la réflexion puisse se mouvoir dans le schème du « si…, alors… », il faut que la préoccupation (Besorgen) comprenne déjà « en son ensemble » un complexe de tournure (Bewandtnis). Ce qui est advoqué avec le « si… » doit déjà être compris comme ceci et cela. Pour cela, il n’est pas requis que la compréhension de l’outil (Zeug) s’exprime dans une prédication. Le schème « quelque chose comme quelque chose » est déjà pré-dessiné dans la structure du comprendre antéprédicatif. La structure de comme se fonde ontologiquement dans la temporalité du comprendre. C’est seulement dans la mesure où le (360) Dasein, attentif à une possibilité, c’est-à-dire ici à un pour-quoi, est revenu vers un pour-cela, c’est-à-dire conserve un à-portée-de-la-main, que le présentifier appartenant à ce conserver attentif peut à l’inverse, en partant de cet étant conservé, le rapprocher expressément dans sa référence au pour-quoi. La réflexion approchante doit se rendre adéquate, dans le schème de la présentification, au mode d’être de ce qui est à approcher. Le caractère de tournure (Bewandtnis) de l’à-portée-de-la-main n’est rapproché – mais non pas d’abord découvert – par la réflexion que selon qu’elle fait voir circon-spectivement comme tel ce dont il retourne avec quelque chose. EtreTemps69
Dans l’usage circon-spect de l’instrument, nous pouvons dire : le marteau est trop lourd, ou trop léger. Même la phrase : le marteau est lourd, peut donner son expression à une réflexion préoccupée et signifier : il n’est pas léger, c’est-à-dire que sa prise en main exige de la force, qu’il rendra le maniement plus difficile. Seulement, la phrase peut aussi vouloir dire : (361) l’étant présent, que nous connaissons déjà circon-spectivement comme marteau, a un poids, c’est-à-dire la « propriété » de la gravité ; il exerce une pression sur son support ; que celui-ci soit éloigné, et il tombe. Le parler ainsi compris n’est plus parlé dans l’horizon du conserver attentif d’une totalité d’outils et de ses rapports de tournure (Bewandtnis). Le dit est puisé dans un regard sur ce qui appartient à un étant « doué de masse » en tant que tel. Ce qui est désormais pris en vue n’échoit plus au marteau comme instrument, mais comme chose-corps soumise à la loi de la pesanteur. Le parler circon-spect qui dit « trop lourd » ou « trop léger » n’a maintenant plus aucun « sens », c’est-à-dire que l’étant qui fait maintenant encontre n’offre plus rien en lui-même par rapport à quoi il pourrait être « trouvé » trop lourd ou trop léger. EtreTemps69
D’où cela provient-il que, dans le parler modifié, son ce-sur-quoi, le marteau lourd, se montre de manière autre ? Non pas de ce que nous prenons de la distance par rapport au marteau – mais pas non plus de ce que nous ferions seulement abstraction du caractère d’outil (Zeug) de cet étant : uniquement de ce que nous considérons « à neuf » l’à-portée-de-la-main, comme sous-la-main. La compréhension d’être qui guide l’usage préoccupé de l’étant intramondain a viré. Mais est-ce que se constitue déjà, du seul fait qu’au lieu de réfléchir circon-spectivement à de l’à-portée-de-la-main, nous l’« envisageons » comme du sous-la-main, un comportement scientifique ? D’autant que même de l’à-portée-de-la-main peut devenir le thème de la recherche et de la détermination scientifique, ainsi que par exemple dans l’étude d’un monde ambiant, du milieu dans le cadre d’une biographie historique : le complexe d’outils quotidienne (alltäglich)ment à-portée-de-la-main, sa formation historique, sa mise en valeur, son rôle factice dans le Dasein, tout cela est objet de la science économique. L’à-portée-de-la-main n’a pas besoin de perdre son caractère d’outil (Zeug) pour pouvoir devenir « objet » d’une science. La modification de la compréhension de l’être, du coup, ne semble pas nécessairement constitutive de la genèse du comportement théorique « vis-à-vis des choses ». Certes – si modification doit vouloir dire : changement du mode d’être, compris dans le comprendre, de l’étant présent. EtreTemps69
Pour que devienne possible la thématisation du sous-la-main, le projet scientifique de la nature, le Dasein doit nécessairement transcender l’étant thématisé. La transcendance ne consiste pas dans l’objectivation, c’est celle-ci qui présuppose celle-là. Mais si la (364) thématisation du sous-la-main intramondain est un virage de la préoccupation (Besorgen) circon-spectivement découvrante, alors il faut qu’une transcendance du Dasein se trouve déjà au fondement de l’être « pratique » auprès de l’à-portée-de-la-main. EtreTemps69
C’est seulement sur la base de la temporalité ekstatico-horizontale qu’est possible l’irruption du Dasein dans l’espace. Le monde n’est pas sous-la-main dans l’espace ; celui-ci, néanmoins, ne se laisse découvrir qu’à l’intérieur d’un monde. La temporalité ekstatique de la spatialité propre au Dasein rend précisément compréhensible l’indépendance de l’espace par rapport au temps, mais aussi, inversement, la « dépendance » du Dasein vis-à-vis de l’espace, qui se manifeste dans ce phénomène bien connu que l’auto-explicitation du Dasein et le fonds de significations de la langue est en général largement régi par des « représentation spatiales ». Cette primauté du spatial dans l’articulation des significations et des concepts n’a pas son fondement dans une puissance spécifique de l’espace, mais dans le mode d’être du Dasein. Essentiellement échéante, la temporalité se perd dans le présentifier et elle ne se comprend pas seulement circon-spectivement à partir de l’à-portée-de-la-main pour la préoccupation (Besorgen), mais elle emprunte à ce que le présentifier y rencontre constamment comme présent, c’est-à-dire aux relations spatiales, les fils conducteurs pour l’articulation de ce qui est compris et explicité dans le comprendre en général. EtreTemps70
De prime abord et le plus souvent, le Dasein se comprend à partir de ce qui lui fait encontre dans le monde ambiant et dont il se préoccupe circon-spectivement. Ce comprendre n’est pas une simple prise de connaissance de lui-même, qui se bornerait à accompagner tous les comportements du Dasein. Comprendre signifie se-projeter vers ce qui est à chaque fois la possibilité de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), autrement dit exister en tant que cette possibilité. Ainsi, le comprendre comme entente constitue-t-il également l’existence inauthentique du On. Ce qui fait encontre à la préoccupation (Besorgen) quotidienne (alltäglich) dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) public, ce ne sont (388) pas seulement l’outil (Zeug) et l’ouvrage, mais aussi ce qui en « résulte » : les « affaires », les entreprises, les incidents et les accidents. Le « monde » en est à la fois le sol et le théâtre, et, comme tel, il appartient conjointement aux faits et gestes quotidien (alltäglich)s. Dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) public, les autres ne nous font encontre que dans une affaire où « l’on est soi-même plongé ». Et cette affaire, on la connaît, on la commente, on la promeut, on la combat, on la préserve et on l’oublie – mais toujours en n’ayant primairement d’yeux que pour ce qui se poursuit ainsi et ce qui en « sort ». Le progrès, la stagnation, le changement, le « bilan » du Dasein singulier, nous ne les évaluons de prime abord qu’à partir du cours, de l’état, du changement et de la disponibilité de l’étant offeoffert à la préoccupation (Besorgen). Si trivial que puisse être ce renvoi à la compréhension du Dasein qui caractérise l’entendement quotidien (alltäglich), il se trouve que, du point de vue ontologique, elle est rien moins que transparente. Car pourquoi, dans ces conditions, l’« enchaînement » du Dasein ne serait-il pas lui aussi déterminé à partir de ce dont on se préoccupe, de ce que l’on « vit » ? L’outil (Zeug), l’ouvrage, et tout ce auprès de quoi le Dasein se tient, tout cela ne co-appartient-il pas à son « histoire » ? Le provenir de l’histoire, dès lors, ne serait-il que le déroulement – considéré isolément – de « flux de vécus » dans les sujets singuliers ? EtreTemps75
Le Dasein existe comme un étant pour lequel, en son être, il y va de cet être même. Essentiellement « en-avant-de soi » il s’est projeté, avant toute simple considération après coup de soi-même, vers son pouvoir-être. Dans le projet, il est dévoilé comme jeté. Remis par le jet au « monde », il échoit contre lui dans la préoccupation (Besorgen). En tant que souci, c’est-à-dire existant dans l’unité du projet échéant-jeté, cet étant est ouvert comme Là. Étant-avec autrui, il se tient dans un être-explicité médiocre qui est articulé dans le parler et ex-primé dans la parole. L’être-au-monde (In-der-Welt-sein) s’est toujours déjà ex-primé, et, en tant qu’être auprès de l’étant qui lui fait encontre à l’intérieur du monde, il s’ex-prime constamment dans l’advocation et la discussion de l’étant même dont il se préoccupe. La préoccupation (Besorgen) circon-spectivement compréhensive se fonde dans la temporalité, et cela sur le mode du présentifier qui s’attend et conserve. En tant que, dans sa préoccupation (Besorgen), il calcule, planifie, pourvoit et prévient, il dit toujours déjà, que ce soit à haute voix ou non : « alors », cela doit arriver ; « d’abord », ceci doit être réglé ; « maintenant », il faut rattraper ce qui « alors » avait échoué et échappé. EtreTemps79
Qu’est-ce donc qui appartient essentiellement à une telle databilité, et où se fonde celle-ci ? Mais, dira-t-on, est-il possible de poser une question plus superflue que celle-là ? Car avec le « maintenant que », nous visons bel et bien « notoirement » un « point temporel » ! Le « maintenant » est temps. Incontestablement, nous comprenons non seulement le « maintenant que » et les « alors que », mais encore nous comprenons qu’ils sont liés « au temps ». Oui, mais qu’ils désignent le « temps » « lui-même » comment cela est possible et ce que « temps » veut dire, tout cela, pour autant, n’est point déjà conçu avec la compréhension « naturelle » du « maintenant », etc. Et même, est-il donc si « évident » que nous « comprenions sans autre forme de procès » et ex-primions si « naturellement » quelque chose comme le « maintenant », le « alors » (futur) et le « alors » (passé) ? D’où prenons-nous ces « maintenant, que… » ? Les aurions-nous trouvés parmi l’étant intramondain, parmi le sous-la-main ? Manifestement non. Et les avons-nous même en général trouvés ? Avons-nous formé le projet de les chercher et de les constater ? « En tous temps » nous en disposons, sans les avoir expressément faits nôtres, constamment nous en faisons usage, quoique non toujours à haute voix. La plus triviale et quotidienne (alltäglich) des expressions, par exemple : « il fait froid » vise conjointement un « maintenant que… ». Or pourquoi le Dasein, dans l’advocation de ce dont il se préoccupe, ex-prime-t-il conjointement, quoique le plus souvent en silence, un « maintenant que… » ou un « alors que… » ? Réponse : parce que l’advocation explicitante de… s’ex-prime conjointement elle-même, c’est-à-dire l’être circon-spectivement (408) compréhensif auprès de l’à-portée-de-la-main qui laisse faire encontre (begegnen) celui-ci en le découvrant, et parce que cet advoquer et ce discuter qui se co-explicite se fonde dans un présentifier et n’est possible que comme tel (NA: Cf. supra, §33 (EtreTemps33), p. (154) sq.). EtreTemps79
La mesure du temps accomplit une publication accentuée du temps, de telle sorte que (419) c’est ainsi seulement que devient connu ce que nous appelons communément « le temps ». Dans la préoccupation (Besorgen), « son temps » est attribué à chaque chose. Elle « a » ce temps, et, comme tout étant intramondain, elle ne peut l’« avoir » que parce qu’elle est en général « dans le temps ». Le temps « où » de l’étant intramondain fait encontre, nous le connaissons comme le temps du monde. Celui-ci, sur la base de la constitution ekstatico-horizontale de la temporalité à laquelle il appartient, a la même transcendance que le monde. Avec l’ouverture du monde, du temps du monde est publié, de telle sorte que tout être temporellement préoccupé auprès de l’étaétant intramondain comprend circon-spectivement celui-ci comme faisant encontre « dans le temps ». EtreTemps80